Depuis quelques années, une prise de conscience s’est généralisée autour de la protection de l’environnement et de l’impact de nos activités sur ce dernier. Nous nous renseignons de plus en plus : traçabilité, composition, impact humain et environnemental… Dès lors, ces changements amènent au développement de nouveaux modes de consommation. C‘est l’expansion grandissante de la seconde main sur le marché de la mode. Depuis peu, de nombreux sites e-commerce ont construit ce marché : Vinted, Vestiaire Collective… Au travers de cet article, nous nous intéresserons à l’expansion de ce marché pour le secteur du textile. Comment la fast fashion peut-elle prendre le virage de la seconde main ?


La seconde main : un marché touché par la révolution numérique
Cette pratique de seconde main existe depuis des siècles. On désigne plus généralement la seconde main vestimentaire par la fripe. Toutefois, ce terme fut longtemps péjoratif et désigne un vieux vêtement ou haillon, connaît un véritablement essor au XIXème siècle à Paris. C’est ainsi que le commerce de vêtements de seconde main se démocratise et donne naissance aux friperies, lieux de revente de vêtements déjà portés.
La consommation de seconde main a connu trois périodes clés. Son émergence du XVIIème au XIXème siècle suivi par un déclin lié à une image négative au XXème siècle. Enfin, depuis les années 2000, enfin, une nouvelle expansion de ce mode de consommation.
Plus récemment, le marché de la seconde main connaît un véritable boom. De plateformes e-commerce dédiées à l’achat et revente de vêtements de seconde main ont fait leur apparition. Néanmoins, ces nouvelles offres ne se substituent pas aux acteurs traditionnels. Au contraire, ils permettent de toucher les nouvelles générations plus connectées. L’essor de la revente en ligne de vêtements commence avec la création de Ebay en 1995. Ce site généraliste de revente va connaître un succès fulgurant.
Les nouveaux acteurs e-commerce
Aujourd’hui, les principaux acteurs de la seconde main sur le marché français sont Leboncoin, Vestiaire Collective, Vide Dressing, Collector Square, Depop, et Vinted. Les plateformes de e-commerce jouent le rôle d’intermédiaire entre vendeur et acheteur de seconde main. Le système de rémunération de ces dernières varie selon la plateforme. Vestiaire Collective par exemple prélève une commission au vendeur variant selon le prix de l’article vendu. A l’inverse chez Vinted, la se fait directement auprès de l’acheteur. Ces plateformes sont très intuitives d’utilisation pour les digital natives notamment.
Il semble que la seconde main représente pour les enseignes traditionnelles à la fois une forte menace concurrentielle et une opportunité économique. Certaines enseignes traditionnelles ont compris l’urgence de la situation et ont pris en compte ce tournant dans leurs stratégies comme par exemple l’entreprise Bocage avec “Vos chaussures en disent long”, un corner de chaussures de seconde main, le groupe IDKIDS qui a lancé IDTROCS, un site de revente de seconde main des enseignes Okaidi, Okabaibi et Jacadi. D’autres enseignes surfent sur cette tendance comme Cyrillus, Petit Bateau, Galeries Lafayette…
Vers de nouveaux modes de consommation
Le marché de la seconde main est en constante évolution ces dernières années selon une étude de l’Institut Français de la Mode (IFM) en 2019, 39% des Français ont déjà acheté un article de mode de seconde main et 48% souhaitent réitérer l’expérience. Ils n’étaient que 15% en 2009. Cette pratique ancestrale a su croître et s’adapter à notre société avec le développement des nouvelles technologies. Ainsi, internet a permis l’émergence de nombreuses plateformes qui ont à la fois faciliter et démocratiser cette pratique auprès d’un large public.
Une vraie appétence pour cette pratique de consommation se développe en France. C’est pourquoi elle représente des enjeux à la fois environnementaux et économiques considérables. Donc nous passons, petit à petit, d’une “throw-away society” autrement dit d’une économie linéaire à une économie circulaire avec des produits de plus en plus réutilisés au lieu d’être systématiquement jetés.
Une tendance de fond
Le marché de la seconde main s’estime difficilement puisque les manières de ventes et d’achats sont très variées souvent informelles. En effet, les transactions se déroulent entre particuliers lors d’événements tels qu’un vide-dressing, une brocante, un site internet, ou un dépôt-vente. En revanche, son estimation est de près d’1 milliard d’euros en France en 2018 avec des prévisions à la hausse.
Face à cette situation, nous observons une tendance à la déconsommation, à la réduction volontaire de la consommation de biens matériels, et à une baisse des dépenses dans l’habillement ces dernières années. En effet, toujours selon une étude de l’IFM, en 2018, 44% des interrogés ont affirmé avoir réduit leur consommation de vêtements dans le but de respecter des contraintes budgétaires ainsi qu’une volonté de consommer de manière plus responsable. En effet, l’industrie de l’habillement est la deuxième source de pollution au monde après le pétrole ; avec les problématiques environnementales actuelles, de grands changements sont à mettre en œuvre pour réduire l’impact de cette production.
Fast fashion vs seconde main
La Fast Fashion désigne un segment de l’industrie vestimentaire bon marché dont les collections sont renouvelées très régulièrement, plusieurs fois par saison, voire par mois. Ces collections sont largement inspirées des défilés de couture et de grandes marques, et sont disponibles à des prix très abordables. Ce phénomène a bouleversé les modes de consommation, les clients achètent beaucoup plus de vêtements qu’auparavant.les acteurs de Retail traditionnels proposent de nouvelles collections en boutique tous les 3 mois en moyenne. A l’inverse, les acteurs de la Fast Fashion (ASOS, Zara, Boohoo, Missguided) ont accéléré les process de leurs lignes de production. Ainsi, ils proposent de nouvelles collections toutes les 6 semaines pour Asos, voire toutes les semaines pour Missguided. Le renouvellement presque hebdomadaire des collections, crée un sentiment d’urgence et d’exclusivité toujours plus fort chez les consommateurs.
La croissance toujours au rendez-vous
Ce phénomène de Fast Fashion est très récent : il a commencé au 21e siècle avec la mondialisation des échanges qui a permis de délocaliser la production de vêtements dans des pays où la main d’œuvre est très peu chère, tels qu’au Bangladesh. Les trois grand acteurs de la Fast Fashion connaissent depuis plusieurs années une croissance à deux chiffres. H&M enregistre une croissance de ses ventes annuelles de 10.6% en moyenne entre 2013 et 2017. ASOS, quant à lui, enregistre une croissance de ses ventes annuelles de 34.6% en moyenne sur la même période. Zara, le fleuron du groupe Inditex, a multiplié par quatre son chiffre d’affaires depuis 2005. Ce dernier s’élevait à 18.9 milliards de dollars en 2017. Enfin, Boohoo explose les records avec une croissance de ses ventes annuelles de 62.6% en moyenne entre 2013 et 2017. (McKinsey&Company. (2017). The State of Fashion 2018. Retrieved 2019)
Le renouvellement permanent des collections en quantité limitée peut induire des comportements d’achat particulier chez les clients de Fast Fashion, suscitant une certaine addiction à la marque. Cette addiction peut se définit par une préoccupation psychologique du consommateur pour une marque en particulier, induisant un besoin irrésistible de posséder les produits de la marque, cela lui apportant un sentiment positif de gratification. (Mrad, M., Majdalani, J., Cui, C. C., & El Khansa, Z. (2020). Brand addiction in the contexts of luxury and fast-fashion brands. Journal of Retailing and Consumer Services, 55)
L’émergence du phénomène Slow Fashion
Le terme de Slow Fashion est apparu en opposition au phénomène de Fast Fashion. Il désigne un shopping raisonné tourné vers des produits de qualité. Il prône un retour à l’essentiel avec des penderies comprenant peu de vêtements mais des intemporels de qualité ou des articles d’occasion. La durée de vie d’un vêtement est important dans la décision d’achat Slow Fashion. Ce principe permet de repenser le cycle de vie d’un bien de consommation. Dans l’industrie textile, cela se traduit principalement par la revente d’un vêtement sur le marché de la seconde main. Les vêtements vintage attire l’intérêt des consommateurs pour leur qualité et leur durabilité. Par exemple, certaines marques étaient Made in France. Aujourd’hui il est impossible de retrouver ce niveau de qualité à des prix grand public.
L’industrie de l’habillement est la seconde plus polluante au monde après celle du pétrole. Cela est d’autant plus vrai ces dernières années car le cycle de vie d’un produit s’est raccourci. Notamment avec l’arrivée des géants Fast Fashion qui proposent toujours plus de nouveautés en négligeant la qualité des produits. A titre d’exemple, si la vie d’un vêtement passe à 3 ans, cela réduit l’empreinte Carbone/Eau de 5 à 10%. Ainsi, la question de la fin de vie d’un article de mode est problématique. C’est pourquoi, elle est de plus en plus au coeur des stratégies des marques.
Cette tendance de consommation est encouragée socialement. Elle permet notamment de renforcer leur identité en termes de différence aux autres. Cela leur permet de se distinguer tout en créant un sentiment de communauté en tissant des liens sociaux.
Face à cette tendance, les acteurs de la Fast Fashion s’inquiètent d’être privés d’une part de chiffres d’affaires. Le marché de l’occasion cannibaliserait*-il le marché du neuf ? Le développement de cette économie circulaire ne bénéficie pas aux marques. En effet, il alimente un marché sur lequel les consommateurs retrouvent les produits d’occasion moins chers. Les producteurs ont peu d’information sur ce circuit parallèle. Ce phénomène de cannibalisation touche plus fortement certains secteurs tels que celui du jeux vidéos. Une fois le jeu terminé, il est revendu entre particuliers à bas prix. Donc cela implique un travail constant de recherche et développement et des nouveautés fréquentes.
Conclusion
L’essor de la seconde main vient en réaction à l’apparition et la démocratisation de marques dites de Fast Fashion. Les consommateurs sont de plus en plus consom’acteurs et se préoccupent de l’impact sur l’environnement d’une consommation effrénée. Un nouveau modèle se développe, il s’agit de la Slow Fashion. Ce dernier repose principalement sur la théorie de l’économie circulaire et prône la seconde main.
C’est pourquoi, les marques doivent revoir leur stratégie afin de séduire les clients. En effet, les clients ont tendance à se détourner des circuits de vente classiques pour acheter en seconde main. L’innovation est au cœur de l’industrie textile et doit permettre de réduire l’empreinte carbone des habits neufs ou reconditionnés. Le cycle de vie du produit, de sa fabrication, à son transport, sa revente et jusqu’au recyclage, nécessite une réflexion. La digitalisation est essentielle, elle permet de rester au plus près du besoin client. Et ainsi de créer une communauté autour de la marque, un univers. Comme nous avons pu le constater dans les entretiens, c’est un moyen privilégié pour consommer. De plus, cela permettrait d’atténuer le frein selon lequel, en seconde main, on ne trouve pas toujours les articles souhaités. La digitalisation de l’offre de seconde main permettrait de proposer une offre plus large pour toucher un maximum d’individus en répondant à leurs attentes.
*La cannibalisation est le phénomène par lequel, les ventes d’un nouveau produit/service proviennent en partie d’une diminution des ventes d’un autre produit plus ou moins substituable et proposé par la même marque. (source : Définition marketing)
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