Le marché de l’occasion : une opportunité pour le retail ?
13 octobre 2020

Alors que le marché de l’occasion ne cesse de croître, l’avenir des détaillants français est incertain. Les crises économiques, sanitaires, écologiques et sociales les ont fragilisés. Ils n’ont plus d’autre choix que de s’adapter pour perdurer. Nous avons donc étudié si intégrer le marché de l’occasion permettrait à un détaillant d’améliorer l’appétence des consommateurs pour sa marque.

La “Retail Apocalypse” : de nombreuses crises affectant le marché du neuf

Les différentes crises ont énormément fragilisé les détaillants. Aujourd’hui, on parle même de “Retail Apocalypse”

Le marché du neuf affaibli par les multiples crises sociales

Le 24 avril 2013, le Rana Plaza s’effondrait au Bangladesh. Cet accident a provoqué la mort de 1127 ouvriers. Les lieux n’étaient pas sécurisés, les conditions de travail étaient très mauvaises et les salaires très faibles. Cet atelier textile travaillait pour de grands détaillants occidentaux. Depuis, de nombreux scandales ont été mis en lumière. Cela a généré une prise de conscience de la part des consommateurs occidentaux. Le mouvement des “gilets jaunes” et les grèves liées à la réforme des retraites ont également énormément impacté les détaillants



De plus en plus de consommateurs focalisés sur la préservation de l’environnement

Parallèlement, notre planète se dégrade. Quelques exemples parmi tant d’autres : « les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 64 % entre 1790 et 2017. » (Chiffres clés du climat – France, Europe et Monde – Édition 2020). Selon l’IPBES les activités humaines ont “sévèrement altérés 75 % des environnements terrestres” (40 % pour les environnements marins). « 500 000 des espèces terrestres (sur 5,9 millions) n’ont plus un habitat naturel permettant leur survie à long terme ». Les crises environnementales et sociales augmentent les préoccupations éthiques et écologiques des consommateurs. Ils sont ainsi plus méfiants envers les détaillants. De nos jours, les enseignes qui vont à l’encontre du respect de l’environnement risquent ainsi un “bad buzz” sur les réseaux sociaux.

La crise économique engendrée par la pandémie de-covid-19 pèse sur les détaillants

La pandémie de covid-19 a mené à un confinement des Français de mars à mai 2020 pour lutter contre la propagation du virus. Cela a eu de nombreux effets tels que l’incertitude financière et la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. Cela est dû notamment à l’augmentation du chômage et le gel des embauches dans de nombreuses entreprises, la fermeture des points de vente physiques, la fermeture des frontières internationales,… Cette crise sanitaire et la crise économique qui en découle ont modifié les habitudes des consommateurs. Les Français se rendent moins en magasins physiques et l’incertitude financière les pousse à consommer différemment. Parmi les premières victimes, nous retrouvons le chausseur André qui a été placé en redressement judiciaire le 31 mars 2020. D’autres détaillants ont ensuite été affaiblis et se sont retrouvés en redressement judiciaire. Parmi eux nous retrouvons notamment Camaïeu, Naf Naf, Alinéa et La Halle.

L’essor du marché de l’occasion

La fin d’un modèle linéaire

Notre économie actuelle tourne principalement autour d’un système économique linéaire, qui consiste à “extraire, fabriquer, utiliser puis jeter”.

Le cycle de vie d’un produit dans une économie linéaire
Le cycle de vie d’un produit dans une économie linéaire
(Rémy Le Moigne, 2018)

D’après une étude de World Economic Forum, “The new plastics economy”, en conservant ce rythme de consommation, l’océan compterait davantage de plastiques que de poissons en 2050. Nous devons faire face à une prise de conscience. La planète a ses limites et elles tendent à être atteintes incessamment sous peu. Notre économie linéaire se dirige donc vers une voie sans issue.

Les six Business Models autour de l’économie circulaire selon Futuribles
Les six Business Models autour de l’économie circulaire selon Futuribles
(Rémy Le Moigne, 2014)

Selon Futuribles, il existe six Business Models qui permettent d’éviter un modèle linéaire. Le prolongement de la durée de vie des produits et le partage de l’utilisation d’un produit sont au coeur du marché de l’occasion.

L’explosion du marché de l’occasion

L’envol de l’occasion

Le cycle de vie du produit ne s’arrête donc plus à sa consommation. Le marché de l’occasion en ligne connaît une forte croissance ces dernières années. Hors véhicules d’occasion, il était estimé à 7 milliards d’euros en 2018. La crise de 2008 a engendré un développement rapide de ce marché au profit du marché du neuf (Xerfi, 2019). Le marché de l’occasion en ligne connaît une forte croissance ces dernières années. Le chiffre d’affaires a progressé de +13% en 2018 par rapport à 2017.

Un marché boosté par le déconfinement 

Contrairement au marché du neuf, le marché de l’occasion semble boosté par le déconfinement de la France. D’après une étude de YouGov, alors qu’ils étaient 32% à n’avoir jamais vendu leurs objets inutilisés en ligne jusqu’ici, 78% des Français ont profité ou comptaient profiter du confinement pour faire le tri. 49% des Français prévoyaient de vendre en ligne leurs objets dont ils ne se servaient plus dès le déconfinement. Portées principalement par Vinted, les parts de marché des vêtements d’occasion dans le marché de la mode en ligne ont fortement augmenté la semaine du 11 mai 2020. Les parts de marché post-confinement sont ainsi supérieures aux parts de marché de la seconde main avant que le confinement ne soit annoncé en France. Cela se traduit notamment par des inquiétudes sur l’avenir : financières et environnementales (Cornet & Leroy, 2020).

Evolution hebdomadaire des parts de marché (% des ventes) sur le marché de la mode en France en 2020
Evolution hebdomadaire des parts de marché (% des ventes) sur le marché de la mode en France en 2020
(Cornet & Leroy, 2020)

À ce rythme, va-t-on continuer à acheter des vêtements neufs ? Quel est l’avenir des détaillants ? Quelle est la place du marché du neuf face à ces nouveaux modes de consommation ?

Le marché de l’occasion, un moyen de booster le marché du neuf ?

Et si un détaillant se lançait sur le marché de l’occasion, quels seraient les effets sur l’appétence des consommateurs pour la marque ?

Nous avons étudié si une telle initiative pouvait avoir des effets que ce soit en termes de fidélité, d’image de marque ou de confiance. Pour ce faire, nous avons réalisé notre enquête via un questionnaire en ligne. Nous avons obtenu 220 réponses. Les résultats nous démontrent qu’un tel lancement aurait de nombreux effets positifs pour la marque. Parmi eux, nous observons des améliorations au niveau de la confiance, de l’image de marque et des intentions d’achats des consommateurs.

En effet, les résultats de notre étude démontrent que le lancement d’une plateforme e-commerce de produits d’occasion propre à un détaillant   :

  • Augmente l’intérêt des consommateurs avec des valeurs éthiques et responsables pour l’enseigne
  • Accroît les intentions d’achat de la part des consommateurs fréquentant déjà les plateformes e-commerce de seconde main
  • Rend l’image de marque plus éthique
  • Renvoi des émotions plus positives et améliore l’évaluation de la marque par les consommateurs
  • N’améliore pas l’image de marque globale
  • N’a pas d’effet significatif sur la qualité perçue des produits

Une opportunité pour le retail ?

Une carte à jouer dans le marché de l’occasion en ligne

Les résultats de notre enquête reflètent l’ère du temps et l’aboutissement de la révolution numérique liée à l’essor des technologies digitales et au développement du réseau internet. Effectivement, 97,7% des sondés ont déjà procédé à un achat sur Internet. En parallèle, 71,5% des répondants estiment leur niveau de sensibilité aux problématiques environnementales  à 4 ou 5 sur une échelle de 5. En lien direct avec cette notion de protection de la planète, 91,7% des intérrogés affirment être intéressés par les modes de consommation alternatifs tels que le troc, la location, l’achat de bien d’occasion, etc. Cet attrait pour ces nouvelles formes de consommation est entraîné par un souhait des Français de modifier et diversifier leurs habitudes afin de transiter d’une ère de surconsommation à une société de “déconsommation” davantage en accord avec l’économie circulaire.

Notre bilan vient confirmer la tendance. En effet, 87,6% des questionnés ont déclaré porter un intérêt aux achats d’occasion. Nous nous rendons compte ici que le marché de l’occasion est un secteur d’avenir, qui se place au cœur des modes de consommation actuels. À l’heure actuelle, ce marché représente un véritable enjeu. Dans les années à venir, il va devenir un incontournable de la consommation. Les détaillants ont une réelle carte à jouer en s’investissant dans ce secteur. Les achats d’occasion sont entrés dans les moeurs des consommateurs. La demande est d’ores et déjà bien présente et ne va faire que s’accroître dans le futur.

Optimiser l’appétence des consommateurs et faire de la co-acquisition grâce à un partenariat avec un acteur du secteur de l’occasion.

Pour obtenir tous les bienfaits du lancement d’une plateforme d’occasion propre à sa marque à moindre coût, l’idéal est de faire un partenariat avec un acteur du secteur de l’occasion. En effet, notre thèse démontre que les consommateurs accordent plus de confiance à une plateforme e-commerce propre à un détaillant qu’à la plateforme d’un acteur généraliste de l’occasion. Cependant, il n’y a pas d’écart significatif de confiance entre une plateforme e-commerce propre à un détaillant et un acteur généraliste de l’occasion (par exemple Vinted ou Leboncoin) en partenariat avec une marque (par exemple Boulanger ou Decathlon).

La marque, un outil de réassurance

Près d’une personne sur deux serait davantage motivée à acheter un bien d’occasion si l’article était vérifié par un expert avant la vente. Ces résultats sont marquants. En intervenant comme un “expert”, la marque est un facteur qui a tendance à rassurer l’acheteur.

Il y a une véritable demande de la part des consommateurs. Ils aimeraient voir apparaître une offre qui combine l’expertise d’un détaillant et sa marque au sein du marché de l’occasion. Cette offre serait adaptée à leurs nouveaux modes de consommation alliant motivations environnementales et motivations économiques, tout en achetant avec un niveau de confiance élevé.
Une orientation vers le marché de l’occasion permettrait aux détaillants d’activer un nouveau levier de croissance en attirant des consommateurs socialement responsables, avec des valeurs éthiques ou encore des habitués des plateformes généralistes de l’occasion, tout en adoptant une démarche plus responsable. En parallèle, cela leur permettrait de véhiculer une image de marque plus éthique et d’augmenter l’évaluation et les émotions positives des consommateurs envers l’enseigne.

Notre travail se voulait principalement centré sur l’impact que pouvait avoir le lancement d’un détaillant sur le marché de l’occasion sur le comportement des consommateurs. Il serait désormais pertinent d’approfondir les moyens de mise en place de ce nouveau levier de croissance. Quelles seraient les contraintes ? À combien s’élèverait le coût financier ? Quel serait le coût humain ? Quel serait le coût technologique ? Combien de temps prendrait le projet ? Comment communiquer efficacement autour de cette nouvelle option ? Le cas échéant, avec quelle entreprise coopérer pour le co-branding ?

Les limites de notre recherche

Nous voulions tout de mettre préciser les limites de notre recherche. Celles-ci ne sont pas à négliger. 

Premièrement, notre échantillon n’est pas parfaitement représentatif de la population française : certains âges et CSP sont surreprésentés. De plus, leurs réponses sont difficilement vérifiables. 

Dans un second temps, notre questionnaire s’articulait autour d’un détaillant fictif auquel s’ajoutait une nouvelle caractéristique pour y analyser la différence d’appétence. Cependant, cet exercice de visualisation a pu paraître compliqué pour certains répondants. 

Troisièmement, ces hypothèses ne sont peut-être pas valables pour tous les détaillants. Nous pouvons imaginer qu’un détaillant ayant une mauvaise réputation à propos de l’éthique et de la préservation de l’environnement aura plus de mal à améliorer son image dans ce sens. 

Enfin, notre étude s’est concentrée sur la France dans une situation post crise sanitaire du covid- 19. Nous n’avons étudié que le secteur du prêt-à-porter. Les résultats pourraient varier selon les zones, les secteurs et les périodes. 

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